À propos¶
Je suis un auteur SFFF malvoyant. Vous trouverez ici les coulisses de ce que je réalise, mes lectures, et tout ce qui se rapporte à cet univers. J’étais développeur de logiciel avant de me consacrer à la littérature. Je continue à développer des outils, et à participer à quelques associations.
Et puisqu’il faut en passer par là, voici une petite foire aux questions liées à ma santé.
- Tu as quoi comme maladie ?:
Cette question est très personnelle, mais je vais quand même y répondre ici. Il n’est pas bien vu de la poser à un inconnu dans la rue. Et pourtant, cette question revient sans cesse.
J’ai un syndrome sec ainsi qu’une choroïdite auto-immune. Mon système immunitaire a attaqué et détruit les maculas des deux yeux. C’est à dire que le centre de mes rétines ne fonctionne plus. Cette atteinte ne concerne qu’une toute petite zone, mais cela a de grandes conséquences. Les rétines contiennent deux types de capteurs : les cônes et les bâtonnets. Les premiers perçoivent la couleur et les seconds la luminosité. Les cônes sont très concentrés dans la macula pour avoir une vision précise. Les bâtonnets sont plus présents dans la périphérie pour capter les mouvements. Je vois tout de même les couleurs, mais ma vue a perdu sa précision.
- Tu dis que tu es malvoyant, c’est pareil qu’aveugle ?:
On parle de déficience visuelle pour désigner à la fois la cécité totale et la cécité partielle. Les termes « aveugle », « malvoyant » et « non voyant » ne sont pas équivalents.
Le terme « aveugle » est très vague. Il a plusieurs sens. Pour l’ensemble de la population, un aveugle ne voit plus rien. Mais cela ne concerne pas la majorité des personnes avec déficience visuelle. Une personne aveugle, dans son sens juridique belge, a une acuité visuelle inférieure ou égale à un vingtième (impossibilité de lire la diapositive avec une seule lettre lors du test) ou un champ visuel inférieur ou égal à dix degrés.
Une personne malvoyante n’est pas aveugle mais a une acuité inférieure ou égale à trois dixièmes ou un champ visuel inférieur ou égal à vingt degrés.
Avec une acuité visuelle inférieure à un vingtième, je suis donc considéré comme aveugle. Je préfère me définir comme malvoyant sévère. Je suis aussi obligé de fermer les yeux en cas de trop forte luminosité malgré des lunettes de soleil très efficaces.
À noter qu’il existe quatre cas de malvoyance : une vision floue au champ visuel intact, une perte de vision périphérique, une perte de vision centrale et une vision tachetée.
- Est-ce que tu as un sixième sens ?:
Oui, ainsi qu’un septième, un huitième et un neuvième. Les sens pour une personne humaine sont les suivants :
la vue ;
l’ouïe ;
le goût ;
l’odorat ;
le toucher ;
la thermoception (perception de la température) ;
la nociception (perception de la douleur) ;
la proprioception (perception de la position des membres) ;
l’équilibrioception (l’équilibre perçu grâce à l’oreille interne).
- En fait, tu ne sais plus rien faire ?:
Certaines activités ne sont effectivement plus possibles, mais beaucoup d’autres s’adaptent moyennant quelques efforts. En fait, les activités impossibles sont plutôt rares. J’ai, par exemple, fait beaucoup d’escrime par le passé et cette activité n’est plus réalisable. Les plus grosses difficultés surviennent majoritairement avec un manque d’accessibilité, comme des formulaires administratifs disponibles uniquement en papier.
- Pourquoi tu as une canne blanche ?:
Je ne perçois pas les rebords de trottoir, la nature du sol et certains obstacles. Je me rends compte de la géométrie du sol et du matériau en faisant rouler l’embout de la canne. Les vibrations et les mouvements de la canne sont transmis à mon index. La canne me protège aussi des obstacles tant qu’ils sont à hauteur de canne.
La canne signale aussi aux autres personnes que j’ai un problème visuel. Elle se réfléchit dans les phares des voitures, des motos et des vélos et cela influe sur la conduite des véhicules.
- Pourquoi tu as un laser sur ta canne blanche ?:
Ce laser fonctionne comme un mètre numérique. Il s’agit d’un capteur m’annonçant la présence d’obstacle jusqu’à dix-huit mètres. J’ai également un capteur pour détecter tous les dangers à hauteur de tête. Je peux plus facilement anticiper les difficultés mais aussi éviter les chocs à la tête. Malheureusement, ça n’empêche pas de recevoir des coups dans l’estomac quand la canne se bloque dans un pavé.
- Comment tu fais pour te déplacer ?:
Je me déplace à pied ou en transport en commun. Je peux prévenir les compagnies à l’avance pour bénéficier d’un service d’assistance.
- Comment tu t’orientes ?:
J’utilise plusieurs techniques. Tout d’abord, j’ai un résidu visuel et je peux repérer de gros blocs colorés. J’ai également une application GPS et je connais aussi la topologie des trottoirs sur mes trajets. Je ressens les espaces aux croisements grâce aux sons, aux courants d’air et aux différences de température.
- Comment tu gardes l’équilibre ?:
Avec beaucoup d’entraînement. L’équilibre en lui-même n’est pas le plus difficile, mon oreille interne fonctionne très bien. Par contre, les chevilles doivent endurer des positions imprévues. Il faut qu’elles soient bien musclées pour éviter les torsions douloureuses.
- Comment tu sais à qui tu parles ?:
Si la personne me connaît, elle me dit directement qui elle est, sinon je demande.
- Comment tu fais pour te servir à boire ?:
J’utilise trois techniques différentes selon le liquide. Je peux mettre mon doigt sur le rebord du verre, une phalange rentrant dans le verre. Je verse le liquide, et je stoppe dès que je sens que ça a atteint mon doigt. Pour les liquides chauds, comme le thé, j’utilise un petit appareil. Il se place sur le rebord de la tasse. Un son strident m’avertit que le niveau est atteint. Enfin, une dernière technique plus bourrine : je me place sur l’évier, je penche légèrement le verre et je remplis. Je m’arrête quand j’entends le liquide couler dans l’évier.
- Comment tu fais pour manger ?:
Avec une fourchette et un couteau. Parfois avec des baguettes. Je passe sur l’assiette une première fois avec les couverts pour comprendre la forme, quand le résidu visuel ne suffit pas. Je refais cette opération régulièrement pour savoir ce qu’il reste.
Il n’y a aucun problème pour atteindre la bouche, je n’ai aucun soucis avec la proprioception.
- Comment tu fais pour t’habiller ?:
Je vois les couleurs et je peux donc choisir les vêtements facilement. Je sais que d’autres ont besoin de détecteurs de couleur. Je touche le vêtement pour en ressentir la forme et les coutures. Pour le reste, c’est comme quasiment tout le monde.
- Comment tu fais pour te raser ?:
Avec un rasoir de sûreté. J’entends le grésillement de la découpe des poils. Dès que ce bruit disparaît, je caresse la joue pour sentir s’il reste des poils.
- Comment tu fais pour lire ?:
Encore une fois, j’utilise plusieurs méthodes. Je peux lire sur l’ordinateur en très gros caractères (avec la police Luciole, elle est vraiment bien). Je lis aussi en braille, ou en me faisant lire le texte en vocal par le lecteur d’écran. Les méthodes sont les mêmes pour le smartphone, mais limité au vocal et au braille (l’écran est trop petit pour les gros caractères). Je peux lire un caractère quand il occupe un quart de mon champ visuel en hauteur.
Je dispose aussi d’un lecteur DAISY, un appareil adapté pour la lecture de livres. Il sait lire les livres audio ainsi que les livres textuels via une synthèse vocale (format ePub sans DRM et DAISY).
- Comment tu fais pour regarder un film ?:
Je privilégie toujours les films en audio-description. Ils sont malheureusement trop rarement diffusés alors qu’ils existent. Je vais parfois au cinéma, mais le plus proche avec cette technologie est à plus de cent kilomètres de chez moi. Sinon, je regarde principalement les films audio-décrits sur Netflix. Ils ont beaucoup de films et de séries en anglais. Je veux maîtriser correctement le japonais pour pouvoir accéder aux autres œuvres audio-décrites du catalogue. Malheureusement, je ne sais pas partager cette expérience avec les autres personnes déficientes visuelles autour de moi car Netflix ne propose quasiment rien en français.
Je peux également regarder des films sans audio-description. Néanmoins, je dois souvent mettre en pause pour comprendre l’image ou demander de l’aide à quelqu’un qui voit.
- Comment tu fais pour jouer à un jeu vidéo ?:
Ma vision périphérique perçoit encore les mouvements et je peux donc jouer à certains jeux vidéos. Les différents sons et les vibrations m’aident beaucoup. J’utilise obligatoirement un émulateur pour pouvoir ralentir, revenir en arrière et avoir des sauvegardes illimités. Sans ça, tout me serait impossible. Il existe cependant des exceptions. Je pense notamment au jeu A blind legend disponible sur smartphone et sur Steam, spécifiquement dédié à la déficience visuelle. Je vous le recommande fortement. J’ai également espoir pour l’avenir. Je n’ai pas de Playstation 4 et je n’ai donc pas pu tester le jeu The Last of Us Part 2. Mais pour la première fois, un studio a sorti un jeu pour console en pensant à l’accessibilité. Il est possible de finir ce jeu quel que soit le handicap. Il me tarde de voir d’autres initiatives de ce type et j’espère une généralisation dans tous les studios.
- Comment tu fais pour utiliser un ordinateur ?:
Le secret, c’est le lecteur d’écran. Mais j’explique tout ça dans un autre article.
- Comment tu fais le ménage ?:
C’est une vaste question. J’ai automatisé le plus possible : aspirateur-robot, lave-vaisselle, lave-linge, etc. Pour le reste, j’essaie de nettoyer partout en espérant qu’il ne reste rien à nettoyer, mais je n’en suis jamais certain.
- Comment tu fais pour faire les courses ?:
Je ne fais pas les courses.
- Comment tu fais pour faire la cuisine ?:
J’utilise mes autres sens. J’ai des repères tactiles sur la plaque à induction et sur le four. Mais sinon, ça ne diffère pas d’une personne valide.
- Comment tu fais pour souder ?:
Oui, je bricole de temps en temps, et il m’arrive aussi de souder des composants électroniques. Cette activité me demande beaucoup plus de temps que pour d’autres personnes. J’ai un reflex numérique qui pointe sur l’espace de travail. Il est branché sur un écran de trente-deux pouces. Je m’arrange pour avoir un zoom suffisant. J’utilise aussi le toucher pour réussir la soudure. La technique est similaire à la canne blanche. Je ressens la topologie de la carte avec le fer, et je m’assure que tous les composants tiennent avec des pinces.
J’utilise les mêmes techniques pour à peu près tous les bricolages, les impressions 3D, etc.
- Tu fais du sport ?:
Oui, j’ai fait du kickboxing, du kung-fu et du judo. Je me mets à l’escalade.
Le kung-fu et le kickboxing ne peuvent pas être pratiqué par un non voyant, mais c’est faisable dès lors qu’il existe un résidu visuel. Et il existe des clubs de judo spécialisés en cas de cécité ou autres handicaps.
J’ai pratiqué un temps le torball, un sport d’équipe prévu pour la déficience visuelle.
- Comment peut-on t’aider ?:
Il suffit de me le demander, et je dirais quoi. En général, il vaut mieux éviter de m’aider sans me demander avant. Ça peut être contre-productif voire me mettre en danger ou me désorienter.
Les questions malvenues¶
Et maintenant, un petit florilège de questions malveillantes ou impolies auxquelles je dois régulièrement répondre. Il paraît qu’il faut de tout pour faire un monde… Les deux premières ne poseraient pas tant problème si je ne les entendaient pas en permanence, voire même d’inconnus qui m’abordent dans la rue rien que pour ça.
- Il faut que tu ailles chez tel médecin, il te trouvera une solution !:
Merci, mais j’ai déjà une équipe soignante très spécialisée. Je vais déjà voir les médecins chercheurs les plus compétents du pays. Je n’ai besoin d’aucun conseil médical.
- Pourquoi tu ne renforces pas ton système immunitaire ? J’ai un super régime pour ça.:
Tu veux me tuer ? Mon système immunitaire détruit mon propre corps, je ne vais pas le renforcer pour lui permettre de faire encore plus de dégâts. Et ce genre de régime s’inscrit généralement dans la pseudo-science et l’escroquerie.
- Pourquoi tu ne te soignes pas avec le poison d’une grenouille d’un pays amérindien ?:
Je tiens à ma vie. Je ne répondrais pas aux escroqueries.
- Tu ne te suicides pas ? Ce serait mieux pour tout le monde.:
Et toi ? Tu ne te suicides pas parce que tu n’as pas le même pouvoir que Superman ? Et ce serait mieux pour qui ? Pour éviter de prendre en compte l’accessibilité quand on fait quelque chose ? Mauvaise nouvelle, c’est grâce à l’accessibilité que les machines à écrire furent inventées, pour le braille à l’origine. C’est à cause de la surdité de sa mère et de sa femme que Graham Bell a voulu créer des aides auditives, et le poussa à l’invention du téléphone. Les exemples ne manquent pas.
Demander à une personne handicapée de se suicider, c’est demander de faire le sale boulot à sa place, c’est terriblement eugéniste. Et quoi ? Avoir un handicap ne veut pas dire être malheureux. Je suis très bien dans ma peau, sauf quand un abruti me pose cette question. Ça m’énerve, après, je dois me défouler sur un punching-ball.
- C’est pas vrai tout ce que tu dis, tu ne peux pas faire tout ce que tu dis. Tu fais ça pour toucher des aides. Tu n’es qu’un fainéant qui profite du système.:
Alors déjà, ce n’est pas une question. Et ensuite, pour obtenir les aides, les contrôles médicaux sont très stricts. Et ça ne te regarde pas, je ne vois pas pourquoi je donnerai tout mon dossier médical à un inconnu, sous prétexte qu’il doute de mon état. Parce que franchement, tu crois que c’est facile de tenir une canne blanche ? De passer des années pour améliorer la sensibilité pour le braille ? Ce genre de comportement empêche beaucoup de personnes handicapées de faire des choses qu’elles pourraient faire. Certaines refusent même de sortir de chez elles ou ont un manque de confiance généralisé à cause de ce type de comportement. Donc si tu te sens de jeter ton venin comme ça, va plutôt dénoncer aux autorités sanitaires, tu te feras bien ridiculiser par les fonctionnaires. Après ce genre de remarque, il me faut au moins deux bonnes heures de sanda pour me calmer. Au bas mot… Et heureusement qu’on a des gants de boxe.